Cyril Lignac, par lui-même
« En France, on est bien ancrés dans une certaine tradition, une manière d’être regardé, vu, jugé; ça demande de s’émanciper des règles définies par mille et un jolis guides. Et donc je me suis dit : je fais la cuisine comme je l’aime, j’écris ma propre histoire« . Lors de la présentation, hier, de son nouveau livre* au prix Champagne Collet, Cyril Lignac se racontait brièvement, avec la modestie et cette pointe de grief qui caractérise souvent ce chef longtemps maltraité par le milieu et qui n’a eu que la force du travail pour se forger une reconnaissance. Etoilé, regardé, envié, multiplié, chocolatier, bistrotier, boulanger, Cyril Lignac aujourd’hui s’en bat un peu les c…. du qu’en dira-t-on. Et on le voit bien dans ses baskets, pleinement épanoui. Car il a fait son chemin et trouvé sa voie. Après le virage Aux Prés, la récente rénovation du Chardenoux historique est à cet égard remarquable. Retapé à l’identique, dans un esprit bistrot parisien fleuri et cuivré, plafond peint classé, l’établissement retrouve un éclat et une élégance que notre génération n’avait pas connu. Ici, Cyril a décidé de poser les bases. Celle d’une cuisine libérée, trouvant l’exact chemin entre innovation et tradition. Divisée en cru/mariné, coquillages et crustacés ou mer/terre, la carte est très clairement affirmée et signée. Beaucoup d’empreintes de voyages et de clins d’oeil au Japon, à l’Espagne, on part de la mer pour finir dans la grande pâtisserie française. Le déjeuner est une jouisssance du début à la fin.
Le Chardenoux a délibérément choisi de miser sur de très bons produits, qui, de fait, se payent sur la note. Oursins, tourteau, St Jacques, Utah Beach, soles, langoustines, même soignés en petits plats, franchissent allègrement la barre des 20€. Mais chacun est apprêté avec soin et raffinement. Pour ceux qui vont, comme moi, sur cet animal marin avec prudence, les énormes langues d’oursins (en saison, 20€) glissent en toute quiétude dans un bouillon de bonite. L’assaisonnement du carpaccio de bar (19€) reste simple et mais l’on se délecte d’autant mieux de la qualité d’une huile et d’un poivre rose. Qui n’aura pas encore gouté à St Germain ce plat désormais signature, optera impérativement pour la galette craquante tourteau, curry de Madras, avocat (25€). On aura beau retrouver la recette p156 de Saisons*, nul doute que nous trouvions la patience de dépiauter si précautionneusement le crustacé, le secret de cette galette fine et croustillante et l’habileté à disposer des avocats rectilignes gardés si verts! Et si ça n’était tous ces détails qui en font un it gastronomique, ce plat qui se partage et se mange avec les doigts serait à classer dans la section street food gourmande et exotique. Renverser les codes, c’est là le moindre talent de Cyril Lignac.
Impossible de terminer cette chronique sans évoquer le millefeuille qui mériterait un post à lui tout seul. Bien sûr on n’a plus faim mais rarement un millefeuille vanille ne m’aura autant touchée. Une fois n’est pas coutume, le millier feuilleté y est véritablement, dans une terrible légèreté et un croustillant gourmand addictif. La vanille en veux-tu en voilà et un praliné juteux dégoulinant de tous bords. Il parait que c’était pour 2….
*Saisons. Cyril Lignac. ed de la Martinière. 25€. oct 2019