Mangez migrant
Sur le Fort St Jean, depuis 1 mois, flottent de grands drapeaux oranges Une couleur qu’on a malheureusement tous en tête : celle des gilets de secours que l’on a tant vus sur la Méditerranée pour sauver des migrants au bord de la noyade. L’artiste italien Gandolfo Gabriele David en a fait une oeuvre – intitulée « Nous sommes là » – afin « d’envisager la dimension éthique et politique entre cultures et société« . Toute la semaine nous serons là aussi: à table pour aider quelques réfugiés. L’édition marseillaise du Refugee Food Festival, c’est maintenant. Toute la semaine, ce festival généreux – ex parisien et qui s’étend désormais à toute l’Europe – invite tout le monde à se mettre à table pour le soutenir. Cinq restaus accueillent dans leur cuisine cinq réfugiés qui vivent à Marseille. Il y a tout juste un an, un drôle de restaurant installé dans container à la Belle de mai, Kitchen on the run, accueillait lui aussi des réfugiés dans ses cuisines.
Pour le Refugee Food Festival, les menus se font à quatre mains dont deux particulièrement dans le besoin. Afghans, Syriens, Soudanais, Erythréens, tous cuisiniers et migrants d’origine, devenus réfugiés depuis, prennent les casseroles en main. Recrutés auprès d’associations, payés par le restaurant, ils ont mis en place leur menu en collaboration avec leur équivalent « marseillais ». L’Ambassade de Bretagne, La Salle à Manger, le café Borely, les Grandes Tables et la Piscine se mettent à l’heure du Marjgiz, du Dero wte ou de l’Eroze atklte. Ici l’assiette de Belan, là la crêpe soudanaise de Mohamed Saleh et là-bas, la daube de Tibin. L’idée est simple, attendrissante, joyeuse et généreuse. Les chefs invités sont rémunérés et les bénéfices, s’il y en a une fois les frais de com et autres payés…., seront reversés à des associations humanitaires. Si on n’a pas le temps de manger, on peut toujours aller faire un don sur le site.
Ce midi, comme demain et après-demain, Georgiana à La Piscine cuisine avec Tibin Ali Hussein, Soudanais vivant à Marseille depuis deux ans et actuellement cuistot à la table de Cana. Au menu, papetons d’aubergines à la menthe au condiment tamarin et dattes / Marjgiz / Nage de carkadé et fruits de saison (19€ entrée-plat).
Comment avez-vous travaillé tous les 2?
On s’est vus 2 ou 3 fois pour parler de ce qu’il voulait faire et procéder à des essais. Je l’ai un peu guidé pour rester sur sa cuisine avec l’idée que ce serait comme si je prenais l’avion pour aller au Soudan. Si je fermais les yeux, j’aimerais manger comme je mangerais là bas. Il ne faut pas avoir peur de ça.
Et vous avez trouvé tous les produits?
Non forcément, ça n’aura pas tout à fait le même goût. Mais son plat est vraiment d’origine. Et comme en Afrique noire, on n’est pas trop entrée ni dessert c’est moi qui m’y colle car je trouvais un peu dommage de se limiter. On se focalise sur un plat pour le Soudan et je fais une entrée, un dessert d’ici, inspirés de là bas. Ce sera Soudan d’abord et Afrique ensuite. Les gens pensent qu’il y a UNE cuisine africaine mais pas du tout. Je n’y connais rien à la cuisine soudanaise et la cuisine béninoise est assez évoluée.
Un aller-retour en Méditerranée…?
Le plat, son Marjgiz, est un genre de daube à la viande (on le propose en version poisson aussi), liée à la pâte d’arachide et aux poivrons. La passerelle avec la Méditerranée, c’est l’accompagnement riz camarguais au lieu riz blanc. En entrée, je joue avec un condiment aux dattes. Et au dessert, avec le carkadé (des feuilles hibiscus séché) pour faire une nage accompagnant la salade de fruits.
Tu as eu un peu le temps d’échanger autrement que sur la cuisine?
J’avoue que l’on n’a pas encore pris trop le temps pour qu’il me raconte son histoire. Je sais juste qu’il est venu via la Lybie, où il a vécu 2 ans, rescapé en mer par un bateau italien. Et en même temps, je trouve ça un peu indécent. Ce festival est pour moi un moyen de participer un tout petit peu à essayer à les intégrer. Une sorte de petite parenthèse pour eux, le côté partage du projet. Je lui apporte mon âme…
Bon c’est super, mais Tibin chez Goergi, c’est un peu black to back… Comme si la cheffe black de Marseille était la plus appropriée pour accueillir un concitoyen.
C’est vrai, je leur ai dit, « pourquoi j’ai pas eu l’Afghan » (rires) ??? Ils m’ont dit que c’était le tirage au sort… Naïvement, ils se sont peut-être dit qu’entre Africains, on allait se comprendre ; mais pas du tout, l’Afrique, c’est pas un pays!