Mugaritz enfonce le clou
J’ai souvent évoqué ici les difficultés du droit d’auteur, les problématiques à faire reconnaître le droit sur la création, l’impossibilité de signifier son appartenance sur une oeuvre. Parce qu’il créer souvent sans produire, parce qu’il dessine beaucoup pour créer, le designer est particulièrement sensible aux questions de droit d’auteur. Itou du cuisinier dont la recette n’est préservée par aucun statut juridique. Plusieurs fois, je vous ai raconté l’histoire de ces bûches qui se ressemblaient étrangement. Du rififi pour Noël comme entre Passard et Hermé autour de la tarte aux pommes. Cette fois-ci, nous allons au restaurant. Au sein du saint !: chez Mugaritz. P240 de son livre « Mugaritz » (2012), Andoni Luiz Aduriz livre dans tous ses détails la recette du cône de clous et fleurs. Comme une glace, un joli cône de kuzu, d’eau et beurre de cacao, surmonté d’une meringue et planté de clous en chocolat. Drôle. Drôle cette sensation d’avoir vu cette image déjà quelque part. Bingo : p37 de Design Culinaire, mon livre coéecrit avec le designer Stéphane Bureaux qui signait en 2004 le projet Le Clou, « un topping en chocolat à planter partout. Un objet comestible original à usage ouvert« . D’aucuns l’auront bien compris…
« Comme le monde est petit« , s’étonne ingénu Mugaritz, « tellement petit que nous arrivons à partager les mêmes idées à l’autre bout du monde« . Bon là, on est quand même pas très loin les uns des autres mais cette proximité aura-t-elle favorisé la rencontre? « Nous travaillons les clous comestibles depuis plusieurs années« , justifie encore le restau espagnol, »et avons inventé ces cinq dernières années pas mal de desserts avec ». Stéphane Bureaux lui, a déjà dégainé la tronçonneuse de sa boîte à outils. « Je sais que la coïncidence des clous et du cornet de glace est totalement impossible. Après, soit ils sont tombés dessus un jour et ont oublié…soit ils sont malhonnêtes…Dans tous les cas, une antériorité ça se respecte« , invective le designer.
Evidemment, on n’aura jamais le fin mot de l’histoire. D’un côté, la prétention d’un designer à croire que le 6è meilleur restau du monde ait repompé un des ses projets. De l’autre, le déni d’un cuisinier protégé par la loi à qui personne ne pourra reprocher d’avoir une inspiration féconde puisée dans l’air du temps… Reste que « copier n’est pas créer« , rappelle Stéphane Bureaux invoquant Jacques Maximin. Pour sa recette créée en 2011, soit 7 ans après les clous Bureaux, Mugaritz invoque « le sacrifice et la beauté« . Tiens tiens!