6036: l’isakaya fast & furious
Il y a des adresses comme ça qui vous ont échappées. Des perles de culture gastronomique à côté desquelles il ne faut surtout pas passer. Elles arrivent au détour d’une conversation sur cette jeune génération qui déboite tout. « J’y ai emmené Piège l’autre jour pour qu’il voit un peu« . Qu’il voit quoi? Qu’il voit que la vérité n’est pas que dans le grand restaurant. Mais qu’on peut envoyer à 2 de la pure cuisine franco-japonaise lors d’un dîner pour 14 couverts seulement, en deux services de suite, dans 3m2 de cuisine et une salle de 8 ! Il faut dire que Haruka Casters est aguerrie aux micro cuisines qui envoient. Passée à l’épreuve Saturne puis Abri, elle craint dégun. Et d’ailleurs, ça se voit. Ce petit bout de japonaise aux cheveux tirés envoie peu d’ordres mais des directives ultra précises à son acolyte pour que tout le mécanisme 6036 s’enchaine comme elle l’entend. Coup d’envoi à 19h30 pile, 14 personnes assises, menu d’une dizaine de plats à partager en main. Ce soir là, le rideau est cassé. Haruka est venue nous chercher sur le trottoir puis nous a guidés via la cour intérieure dans sa salle de Pokémon. Toute perturbée – il y avait bien 10 mn de retard – elle nous a offert le champagne. À 19h50, on avait commandé: « on prend tout sauf la charcut » – qui n’était autre que du sans doute très bon boudin bellota – et la soupe – qui fatigue mon homme. Inquiet il a demandé si ça suffirait. Comme la serveuse avait l’air de savoir de quoi il s’agissait quand les grands gabarits ont faim – ayant elle même une surface d’intervention de trois fois celle de la chef – elle a dit « oui, vous êtes bien là« . Effectivement, Haruka ne fait pas dans la dentelle japonaise.
On est priés de barbouiller son plat de cèpes en crevant l’œuf poché et en « touillant bien« . Les champignons sont impeccables de goût et de qualité invraisemblable! L’assaisonnement vrille dans le soja, le miso et la crème de choux fleur. Ça démarre fort. De grandes flammes d’un chalumeau surgissent de la cuisine ouverte. Ce qui a cramé, ce sont les endives, braisées comme de pauv’ chicons, à côté un beau morceau de daurade nacrée, avec la peau comme une nature morte. Le convive est invité à se rappeler ses origines « cromaniones » et à ne rien laisser de la bête. Surtout pas cette algue en tempura de sarrasin qui renforce l’aspect nécrophage de l’assiette. Ca semble hardcore mais en fait très fin et tellement bon. Dans l’enfer du timing, Haruka imperturbable détecte le moindre faux pas. Une assiette sale ne reste pas plus de 2mn sur table. La cuisinière cale toute la salle ensemble dans un rythme soutenu et déconstruit. Ainsi les onigiri se pointent tout à la fin, comme une belle conclusion. Entre temps on a passé une salade de daïkon au riz soufflé simple et parfaite, une St Jacques crue aux clémentines, un canard aux piments doux. À 21h30, c’était bouclé. Tout le monde dehors. L’Ibiki c’est au bar si on en veut. Le mieux serait quand même de ne pas en vouloir après les excellentes bouteilles de vins ultra bien choisies dans le nature (Elodie Balme, Vincent Fleith, La Cadette, etc). On est à nouveau propulsés sur le trottoir. Les Uber de tables de 2 déboulent déjà. Haruka repart dans ses flammes pour un 2è tour affiné et déterminé. J’ai appelé à 18h, à 19h30 on était à table, j’adore quand tout est top comme ça.