Faut-il sauver les 3 étoiles???
J’ai eu l’occasion récemment de faire deux de ce qu’on nomme dans la gastronomie française « grandes tables » : le Cinq de Le Squer, candidat déçu au tiercé étoilé, et la Côte St Jacques rétrogradée cette année de trois à 2 étoiles. Tout cela était fin 2014, peu de temps avant le bouclage du guide rouge. J’ai déjà dit ici tout le désoeuvrement que j’avais rencontré dans le palace parisien mais le palmarès Michelin de lundi m’a donné à repenser au triple étoilé bourguignon. Fin 2014, il l’était encore. Ces deux établissements de parfait profil Michelin, se ressemblent par un ronronnement de bon aloi. Ici, des tables septuagénaires de bonhommes en costume gris qui ne prendront pas d’apéritif mais un cognac en digestif. Là, des couples sexagénaires provinciaux, heureux de se retrouver pour leur gueuleton annuel. Nous sommes en octobre, on peut encore se réjouir sur la terrasse du calme du jardin. Rendez-vous à midi autour d’un kir royal, face à l’Yonne. dans le hall, un magnifique coq en faïence. Ca sent comme chez ma grand mère … ces grandes maisons figées dans le temps. En bas, la salle est bien calme. Quasi morte! Trois ou quatre tables pour ce jour de semaine. « C’est dur en ce moment« , nous confiera le chef qui se ne s’interroge pas beaucoup sur les possibilités de renouvellement d’un tel établissement, l’adaptation au dynamisme des années 2000, l’issue de son trois étoiles (nous sommes avant le couperet Bibendum). Comme la mort, il la sait fatale! A Joigny, on n’est pas trois étoiles comme à la capitale. Pas de déjeuners d’affaires sans cesse renouvelés. Pas d’habitués fortunés. Peu de femmes à séduire. Du coup, on s’ennuie! La cuisine, la salle, moi. Et quand on s’ennuie, ça ne plait pas à papa Michelin. Surtout que celui-ci a relevé « quelques défauts d’assaisonnement dans les plats qu’il avait goûtés. Il faut croire que ces quelques grains de sel auront suffit à modifier notre classement« , a commenté Jean-Michel Lorain lundi à France 3 … Le menu s’égraine: amuses vaguement sphérifiés, foie gras bien sûr, purées syphonnées, girolles, St Jacques (ben oui, côte St Jacques). La vaisselle est belle, le personnel prévenant, les mets bien agencés, le wifi balbutiant. On s’enfonce dans le fauteuil et se prépare doucement à une digestion aussi lente que le rythme du déjeuner. Avant dernier plat (un dessert à suivre avant les re amuses bouche…). Voilà justement le bar! Il interpelle par sa simplicité. Deux superbes filets épais, surgissants d’une mousse crémeuse mais toute légère, une dentelle sur un généreux lit de caviar. On met son nez dessus, on prend une vague en pleine poire. La mer, la crème, l’acide, le gras, tout surgit rien qu’à l’odeur. La cuisson est parfaitement nacrée, le filet encore juteux de son eau de mer, le caviar est flatteur, le plat est jouissif. Et là, juste sur un plat, juste pour ce plat, on se dit « ah oui, quand même! C’est ça un trois et’ « !