Quand Inaki se met à boire
Hier soir, le foodtail a pris sa grande claque! Inaki a shaké le Dauphin et on a enfin vu la vraie face cachée du cow-boy. Pour la Paris Cocktail Week, le chef du Chateaubriand a pris en main la cuisine et le bar de son restau d’à côté et a cuisiné le cocktail. Maitrise totale des éléments. Et avec lui, quand les cocktails entrent en cuisine, c’est un choc violent des liquides et des solides. Il n’y a plus de limite entre le haut et le bas. On mange dans les verres, on boit dans les assiettes. A siroter, des cocktails cuisinés, à manger, des solides alcoolisés. Sur chaque plat, les accords matchent et nous bousculent. Cinq plats, cinq grandes claques! Ca commence doucement par un punch élégant au gin, mandarine de Sicile et morceaux géométriques de butternut flottants. A siroter avec une brochette d’olives, câpres et piment tout juste sortis de leur vinaigre. Boom. Et puis, les choses sérieuses démarrent. On se laisse pousser la barbe et le soleil tape fort sur nos têtes. Un liquide rose dans le verre avec une petite feuille de coriandre collée à la paroi comme un poisson nettoyeur. La première gorgée fouette le sang. Citronnée, poissonneuse, parfumée à l’oignon rouge… Le gringo nous fait boire le leche del tigre, la marinade du poisson cru, fouettée au mezcal! Il faut mâcher quelque chose, vite : arrive le ceviche de bar, fumé, en petits cubes serrés par une cuisson citron; à côté, des pelures d’oignons presque crues et une tempête de pimiento de la vera rouge sombre. Fumé dans le verre et dans l’assiette, correspondances de goûts, le plat d’éléments disparates vient de se rassembler en bouche. A la dernière bouchée, ça parait logique. Tout le menu s’assemble entre matières à boire et à manger. Les éléments qui constituent le plat se sont retrouvés dans le verre et inversement.
Celui-ci est noir opaque. On aspire la paille et une encre noire se glisse entre les dents. Presque une soupe! Le bloodymary à l’encre de seiche joue comme une sauce, pour noyer au bout de la fourchette un boudin tiède aux cacahuètes. De petites tranches de céleri en pickles nous sauvent de l’enfermement. Ni fluide ni consistant, on avance dans le ventre mou du dark side of Inaki. Puis, ce sera un long drink orangé et pétillant dans lequel flottent de gros glaçons, couronné de sel et cumin. Ca puire! Si on veut boire – et bien sûr, on veut! – on est obligé de se fader l’odeur de pieds de cette michelada dauphinoise. Comme au Mexique, où l’on rafraichit la bière au citron, où l’on mange du sel avant d’avaler sa tequila, on a mélangé ici le houblon à la carotte et à un sel de nioc mam. Roué de coups, violenté depuis trois plats, le mangeur finit par recevoir les caresses bienveillantes du cuisinier. Avec sa tête de gamin d’école en pull marin, Inaki descend de cheval, une St Jacques rôtie au beurre noisette au bout de son foeut, tendrement régressive, rassurante comme une tétine, posée sur une endive tout juste marinée (ça ne lâche pas l’affaire en cuisine) et du pomelo arraché de sa peau, en mini capsules juteuses et joyeuses. Entre cocktails et plats, les lignes se sont faites partout. La continuité du verre à l’assiette dans des ruptures violentes et complémentaires! Le sang fouetté par ce menu d’homme, les sens perdus, on rentre chez soi un peu secoué par des nourritures sans barrière, ivre de cuisine, libre. Grand, très grand Inaki.