Passard et le légume de guerre
En 1940, le livre Cuisine et Restrictions d’Édouard de Pomiane fait un carton et s’avère le best seller de l’année. Le médecin, chef de service à Pasteur, y profère un tas de conseils pratiques, et extrêmement genrés, pour que la mère de famille nourrisse son soldat du mieux possible. On lui doit précédemment des Cuisine juive, ghettos modernes, Radio-Cuisine, la première émission radio (1933) ou encore Vingt Plats qui donnent la goutte que Menu Fretin vient de rééditer. En 1940, le scientifique conseille dans son ouvrage de réserver aux hommes les meilleurs morceaux de viande, mais aussi, plus étonnant, de le gaver de légumes, sources de minéraux, de fibres et de bien être. Le veggy déjà en force! Édouard de Pomiane donne ainsi quelques recettes comme une vinaigrette de guerre, sans huile, à l’eau et fécule – Passard la fait à l’huile de tournesol – ou une brandade de carottes. Ce livre est présenté dans le cadre de l’expo Picasso et la guerre aux Invalides et il n’en fallait pas plus à la Conservatrice du Musée des armées , Isabelle Limousin, pour aller frapper à la porte de son voisin Passard. Lors de 4 masterclasses d’1h30, Alain Passard illustre par son récit et par sa cuisine, l’ouvrage et des considérations sur la cuisine de légumes ou la cuisine de peu. Il trace adroitement des passerelles autour de l’économie du geste, les ressources en herbe sauvage, les bienfaits d’une tomate pour se dé soiffer ou d’une patate pour assouvir sa faim. On se laisse bercer par sa voix de conteur et on entre à la fois dans sa cuisine et un monde végétal qui reste poétique, quelque soient les temps. Pendant qu’il raconte, sa jeune cheffe concocte une salade de topinambour où de minuscules oignons nouveaux et des feuilles d’orties sont ciselés comme des bijoux. On y ajoute une mayonnaise au raifort, 3 pousses d’oseille et, vu par Passard, ce légume qui a dégouté la génération de la guerre, ne résiste soudainement à plus personne. « Quelque chose n’a jamais changé« , soutient Alain Passard, « les saisons« .
Prochaines mastercalsses (illustrées par une mini dégustation) : 14 mai, 4 juin, 2 juillet. 18h30. 20h. 45€
Autour de l’expo, on pourra aussi voir la seule pièce, chef d’oeuvre méconnu jamais représenté sauf une fois au Papagayo, qu’a écrite Picasso : « Le désir attrapé par la queue ». Il n’y parle que sexe et alimentaire, m’a expliqué la conservatrice. « Ecrite en 3 jours, cette pièce marquée par l’écriture surréaliste, a été écrite dans un contexte où les contraintes de restrictions, qui si elles n’ont pas été subies par Picasso – on a retrouvé la liste des courses de son intendante – l’ont marqué néanmoins. Restrictions, c’est le motus de l’époque ».
Du 13 avril au 14 juillet. les samedis et dimanches à 12h30, 14h30 et 16h30 (sauf le samedi 27 avril)