Quand tu es en manque de Marseille…
… vas à Baieta! La toute jeune et très talentueuse niçoise, Julia Sedefdjian y bombarde depuis quelques mois une cuisine du sud. Connue nationalement pour avoir été la plus jeune étoilée de France aux Fables de la Fontaine, la cheffe est désormais chez elle avec deux associés antillais et une salle entièrement créole et féminine. Si bien qu’on est joyeusement en appétit avant même de se mettre à table. La carte s’évade facilement, avec quelques consonances créoles, les mêmes qu’attrapent incidemment son auteure en discutant avec son associé. En fait, la cuisine de Julia a tout et rien du sud. Une puissance solaire assez foudroyante et aucune indolence. Rarement vu un service du midi aussi rythmé. Et pourtant, toutes les assiettes contiennent un travail précis en gouts comme en textures, au visuel comme au palais. L’amuse bouche, un dé de pissaladière, pose l’environnement.
Suit un poulpe confit (21€), docile comme un ti punch, assorti de gnocchi de patate douce et baigné dans une émulsion d’étrilles si bien qu’on navigue entre Martinique et Bretagne, fouetté d’une vivacité de saveurs concentriques. Plat signature, le jaune d’oeuf (19€) va lui tranquille, vers la nourriture propre et étoilée, bien faite mais moins émotionnelle.
Venant de Marseille, on tance forcément la cuisinière sur son aïoli et sa bouillabaisse. Mais cette Julia qui craint très visiblement dégun, dégaine une bouillabaieta (36€) très élégante et bien meilleure que la plupart des faconds du Vieux-Port. Lotte, rascasse, St Pierre et encornet cuits parfaitement, papillonnent dans un concentré épais et safrané, très lisse et bien citronné, sur lequel surnage un crouton de rouille parfaitement aillée, de celles qui réveillent sans vous accompagner un après midi entier. L’aïoli (28€) tient lui de l’élégance du cabillaud sur Pilotis. Alignement de petits légumes tout croquants, quelques moules en friture qui remplaceront les bulots, un oeuf de caille, une émulsion de betterave, tous les codes sont ici ajustés de manière différente de sorte que ce plat populaire du vendredi revêt en semaine une allure finement et intelligemment falsifiée. Le tout dans une assiette de la couleur de la peau du poisson! De tous ces gouts d’ail et de poisson, on se laisserait repartir l’esprit ailleurs sur les berges de Seine. On cale un peu pour la suite. Mais c’est sans compter la force de persuasion de la serveuse.
A juste titre, on se laisse emmener vers « la tarte au citron revisitée » (12€), dessert signature : un sablé fenouil couvert d’une crème citronnée légère de mascarpone avec un sorbet citron/pastis. Après ce sablé fondant relevé au son des grillons, et une glace qui réveillerait Marius mort, on regrette ce citron trop docile et crémeux. Comme une minuscule retenue d’un très sérieux caractère de cuisine qui, qu’on semble capable de lâcher les chevaux.
D’ailleurs, après 6 mois d’ouverture seulement, une 2è adresse ouvrira mi août: après le petit bisou niçois (que signifie Baieta), un Bo entièrement créole, plutôt tapas, dirigés par Sébastien Jean-Joseph, le second de Julia, juste derrière, rue de Poissy. Waiting for!