L’art du poulpe
« Avec ces déjeuners, on essaie d’appréhender d’une autre façon le musée et l’art. Je milite pour que la cuisine puisse être reconnue, non pas comme de l’art, mais comme un fait culturel essentiel ; car ce qui différencie l’être humain des autres espèces c’est qu’il passe ses aliments au feu. Les liens entre l’art et la cuisine, c’est cette capacité à mettre les gens hors du temps« . Ainsi parlait Emmanuel Perrodin en préambule de son déjeuner « Tentacules, visites dégustées à la Vieille Charité », construit autour de l’exposition les Picasso, les Voyages Imaginaires. Après avoir nourri son esprit avec l’expo, Emmanuel Perrodin propose donc de nourrir l’estomac avec des diners et déjeuners presqu’aussi imaginaires que ceux du peintre. Le chef marseillais n’en propose pas une « illustration mais un accompagnement pour s’approprier ce que vous avez vu et mangé ».
J’ai souvent parlé ici de design culinaire. La démarche de ce cuisinier libre (pas de restau, pas de patron) s’inscrit dans cette cuisine créative qui veut illustrer par la nourriture et la mise en scène du manger (travail sur les contenants notamment) un propos. On retrouve ici quelques allusions a à ce qu’on a vu dans l’expo : un morceau de poterie, du lapin, du taureau, etc. On interroge avec sa fourchette Picasso qui à la fin des années 50, s’attaque aux objets du quotidien.
Central dans ce repas, et parce que j’y suis particulièrement sensible (moi, sheriff du Marseille Octopus Wordlwide, festival atour du poulpe du 8 au 14 octobre), la nature morte aux deux poulpes et aux deux seiches. En regard de l’oeuvre, l’Oenochoé minoenne, amphore en céramique dédiée au service du vin, objet décoré de faune sous marine qui symbolise la puissance des Minoens. On devine notamment sur cette pièce unique au monde, des tentacules et des oursins. On les retrouve à table : une langue orange en gelée de vin jaune (le chef est jurassien) posée sur un caillou sorti de l’eau, puis un poulpe de couleur soupçonneuse – un vert qui voudrait évoquer la période bleue de Picasso, résultante d’une cuisson dans un bouillon de betterave. On le mange avec un attieke, cette semoule de manioc accompagnant en Afrique souvent le poisson. Le menu propose aussi un rouget patiemment farci à l’ortie, du taureau cuit sur un rocher de sel et pour finir retour au poulpe avec une très jolie tentacule de guimauve, que la pâtissière Clémence Francou avait déjà créee pour un Poulpe Fiction à Marseille en 2017.
Tentacules, visites dégustées à la Vieille Charité ». 35€. Prochaine date : 27 avril