Tout n’est pas bon dans le cochon
Alors que pleuvent les twitts #balancetonporc, le livre de Nora Bouazzouni semble lecture d’humeur… Livre militant, Faiminisme dénonce proprement et efficacement les dérives du milieu du porc. Pas forcément celui du gros dégueulasse mais les défis quotidiens du milieu de la rillette et du jambon. Finalement, tout n’est pas bon dans le cochon. « Quand le sexisme passe à table », ça ne tient pas en 140 signes mais en 110 pages. Premier pamphlet engagé de Nouriturefu, la nouvelle maison d’édition et d’événements qui s’avalent, Faiminisme analyse le servage des femmes depuis la caverne, la division sexuée de la production alimentaire (« il n’y a pas de eu de révolution verte pour les femmes ») et l’hyper productivité non égalitaire (« les femmes, chargées de nourrir la famille, sont plus attentives à l’éducation alimentaire et seraient plus enclines à freiner l’agriculture intensive »). Qu’on se le dise : l’agriculture est encore une affaire de mecs, le steak aussi. L’auteur rappelle les pubs Charral qui ne mettent en scène que « des hommes qui aiment la barbaque » et insiste sur l’idée bien ancrée que l’homme est viandard avant la femme. « Dogme carnisme » contre « végétarisme ethnique »…Mais attention Nora, les machos, convaincus que « meat is for pussies« , virent désormais vegan.
Porno, régime végétarien, épilation (mais le maillot ticket de métro, ça aussi c’est fini), lesbiennes, tout est bon, dans le cochon selon Nora, qui dénonce le patriarcat, « et cette industrie qui repose et se nourrit de l’oppression des femmes ». Un peu à l’excès à mon sens. Si je suis une des premières à observer le traitement couillu de notre quotidien à seins, j’aime aussi, néanmoins, chercher l’équilibre entre les sexes. J’observe certes que les chefs sont essentiellement hommes, leurs femmes essentiellement comptables ou potiches. Mais aussi que j’ai appris la cuisine par mon père, domaine renié par une mère soixantuitarde qui continue toujours de cracher dans la casserole au nom d’une émancipation résistante. Toute lecture féministe des choses est possible, tout le temps, partout, opposable à tout regard musculo masculin. Chaque camp peut s’opposer ses arguments à l’infini. Certes avons-nous encore tellement de terrains d’inégalité; tous les jours l’actu nous les rappellent – qu’est-ce qu’une femme en Arabie Saoudite ? Qui sommes-nous chez le gynéco ? Les féministes mauvaises joueuses, etc. Mais nous sommes aussi nous, les premières, à renoncer à ce militantisme quotidien : combien apprennent à leur fiston à faire une lessive, mettre une casserole sur le feu, éplucher une carotte, alors que naturellement, faire des sablés avec les petites filles s’impose le mercredi ? Il y a 12 ans, je suis arrivée dans ce métier de critique gastro assez mince, un peu midinette, le profil gonzesse dans un parterre de blouses blanches à gros bide. Je n’ai gagné ma crédibilité qu’une fois à table, quand les chefs ont vu mon comportement avec la fourchette (oui je mange des tripes, je bois du rouge et je prends plutôt du fromage que du dessert voire les deux… et tout ça même à midi) et lu mes 1ères critiques. Une fille qui savait manger et en parler…dingue. Quand je suis accompagnée d’un homme, les sommeliers continuent de lui tendre la carte des vins, les serveurs continuent de m’orienter vers du poisson ou des salades ; mais je crois que je fais exception. La majorité des femmes font plus gaffe à table et à leur ligne quand les hommes s’inquiètent assez peu de leur gras double (ventripotents, eux ne s’empêchent pas de mater les culs de 20 ans, espérer des talons et exiger de notre apparence). Et pour in fine lâcher un « et ben, ça va direct dans les cuisses ça madame ». Je me bats quotidiennement pour l’égalité d’éponge devant la baignoire sale mais je ne trouve pas de quoi balancer un porc. Je travaille tous les jours à cuisiner les hommes sur un tas de petites choses. Si nous luttions toutes un petit peu plus au quotidien plutôt que de se lâcher sur twitter, les porcs deviendraient des cochons d’Inde.