Arnaud Faye: la socca 2 étoiles
Un sourire à la Dujardin, une carrure à la Brando, une facilité de premier de la classe, Arnaud Faye, recruté pour secouer la cocotier, a en 12 mois, agité la Riviera. Homard et melon rôti sans cuisson, artichaut et caviar, agneau et haricots, il est arrivé à la Chèvre d’Or avec deux étoiles et de grands ambitions : celle de retravailler la cuisine locale et méditerranéenne. Sa carte délimitée non pas en « entrées viandes poissons » mais en « sol, flots, et chair » porte une vraie signature, moderne et subtilement respectueuse des traditions. ITW.
Dans quel état d’esprit êtes-vous arrivé ici?
Avec l’idée que si j’étais touriste, consommateur de restaus étoilés, c’est ce que j’aurais envie de trouver. La démarche s’est faite assez naturellement.
Arrivé d’Alsace puis de Paris, comment avez-vous orienté votre carte vers le territoire niçois et méditerranéen ?
Quand on est dans le métier depuis 20 ans, on connaît les bases et les fondements de la cuisine méditerranéenne. J’ai fait confiance aux fournisseurs avec qui l’on travaillait déjà car je suis arrivé en pleine saison. Petit à petit, j’ai fait entrer de nouveaux fournisseurs. Dominique Le Stanc m’a un peu aiguillé ainsi que d’autres du coin. J’ai ainsi découvert de petits producteurs comme le maraîcher Bruno Cayron au Cayre de Valjancelle ou Eve Vernice à Menton qui cultive des fleurs comestibles bio. Je fais venir pas mal de choses d’Italie aussi. J’y ai passé 10 jours où j’ai pu découvrir par exemple le vinaigre de la maison Leonardi à Modène, le lieu, la démarche, le savoir faire ; j’ai identifié dans le même coin, un producteur de parmesan, etc. La fermeture mardi mercredi nous laisse le temps d’aller voir les gens. En échangeant et en se déplaçant, on a meilleurs rapports.
Je me bats ensuite pour la valorisation de cette recherche en salle qui retranscrit de mieux en mieux ce travail. Une fois par semaine, je vais leur raconter les produits. On a beau représenter une super région, il faut que l’on fasse passer au client le message qu’on veut mettre dans la cuisine.
C’est une cuisine de pauvre mais on n’est pas là pour s’en inspirer
Les recettes dévient franchement des attendus locaux
Oui, la socca ne ressemble pas à la socca. Le pan bagnat, traditionnellement, c’est un casse croute avec lequel on va à la plage ; ici, on en retrouve tous les ingrédients, mais il est très modifié. L’an dernier les petits farcis étaient en bagna cauda avec du ris de veau et des cèpes. Pour le pigeon à la figue, on cuit le coffre dans des feuilles de figuier et les cuisses en barbajuan. On a fait aussi du cabri (dans un bouillon fumé, avec de la cardamone) : ça a du tempérament ! L’idée, c’est de retrouver les influences locales mais avec une certaine vision de la recette. Quand on fait du homard, c’est le melon rôti que l’on met en avant car il y a un vrai travail dessus et c’est lui qui apporte quelque chose au crustacé. Je veux faire des clins d’œil à cette tradition. La cuisine locale est une cuisine de pauvre à l’origine ; on n’est pas là pour faire la même mais s’en inspirer, la moderniser en s’appuyant sur les bases du passé.
Travailler les produits locaux vous a obligé à réapprendre?
Le pagre, le denti ont des chaires très resserrées, nerveuses. Côtoyer ces produits de la mer, oblige à réapprendre de nouvelles techniques, travailler autrement. Le lapin à la moutarde, pour moi ca se mange comme ça. Alors si je le fais ici, c’est au poulpe et avec un jus d’herbes des falaises.
Le service à la française peut paraître ennuyeux. Mais il y a moyen de le faire entrer dans le 21è siècle
Comment dépoussière-t-on une maison aussi mythique ?
Aujourd’hui, le service à la française peut paraître ennuyeux. Le moderniser, c’est le faire entrer dans le 21è siècle. Si on n’a pas le temps de découper un pigeon entièrement en salle, on peut se limiter au coffre en 4.5 coups de couteaux. Le homard fumé à l’hysope, ça prend 30 secondes et c’est pas ennuyeux pour le client. Ca crée plus de spectacle qu’un melon dans une assiette ! On est là aussi pour faire changer certaines choses et les gens sont contents de retrouver cette approche.
Servir des pois chiches et du lapin à la clientèle Côte d’Azur, c’est assez couillu
Ducasse a revendiqué la naturalité, c’est très osé de sa part ; moi je ne suis pas là pour revendiquer mais mettre en avant un terroir. La clientèle réclame de plus en plus de végétal. Prenons les pois chiches, la clientèle gastro cherche à vivre une expérience par rapport à l’atmosphère du lieu. C’est la même démarche qu’un Emmanuel Renaud ou d’un Arnaud Donckele.