Where is the super consommateur?
« Yes, I’m the super baker« . C’est comme ça, avec un sourire en coin, que Christophe Vasseur accueille ses clients japonais, canadiens, chinois, américains, belges ou autrichiens. Cette boulangerie que d’aucuns ont pris pour un extrait d’Amélie Poulain, « est la meilleure de Paris » , prétendent certains guides touristiques. Adoubé par Alain Ducasse, le créateur du Pain des Amis accueille, avec la distance de l’homme aguerri au marketing (observez le. ndlr), ce succès incontestable. En bleu de travail blanc, c’est lui qui ouvre cet édifiant documentaire consacré au pain notre pain est-il dans le pétrin, diffusé sur France5 dimanche dernier, et rediffusé cet après-midi. 1,5M de téléspectateurs, 6% de part d’audience, « un record de la case cette saison » annonce la chaine. Coïncidence heureuse, mon livre Tronches de Pain, tirant le portrait d’une soixantaine d’artisans boulangers , sortait 48h plus tard. Le succès d’audience et de librairie n’est pas anodin. Il montre à quel point la question sensibilise. Le pain, un des rares aliments commun à tous, populaire et élitiste, ancré dans notre histoire, universel, touche tout le monde: ouvriers comme bourgeois, allergiques comme gourmands, veggy comme viandards. « Huit Français sur dix en mangent au moins une fois par jour, une demi baguette par jour en moyenne« .
Ces 52 mn de égrainent avec soin les dérives de la production industrielle du pain. « On avale à notre insu des correcteurs, des améliorants des additifs et des enzymes« . Toute la panoplie des E de 170 à 551. Cette année consacrée aux Tronches de pain m’a effectivement révélée une production moisie depuis le départ. Semences de blés trafiquées pour répondre aux critères d’une agriculture intensive, farines pourvoyant à une production de pain extensive, boulangers infiltrés, fake artisans collabo. Le doc met à l’image ces mix de farines salopés, ces mélanges de graines tout prêts et les process mécaniques bien enfarinés. Ce que le doc ne dit pas, c’est que Lesaffre, grand producteur de « solutions de panifications » vend aussi, entre autres saloperies, des levains tout prêts. Sachets de poudre ou bidons de liquides prêts à l’emploi goût rustique ou goût épeautre, qui voudraient nous leurrer sur le bon goût du pain au levain….!!!! WTF.
On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. A l’heure où sévit le Salon de l’agriculture, souvenons-nous de la crise de la vache folle. Ces boulangers qui utilisent en toute connaissance ces mix de farines daubées – « on met l’eau, le sel et la farine et après on est tranquilles » sic. – ont autant de responsabilités que les industriels. Ces viticulteurs malades de cancers qui continuent de répandre leurs engrais sur les vignes, sont aussi pourris que leurs vins. Les farines étaient panifiables autrefois à un taux W (valeur boulangère de la pâte) de 80, elles sont aujourd’hui à 250. Pourquoi ????
Mais plutôt que de continuer à incriminer les industriels, ouvrons notre propre huche à pain. L’information ne manque plus. Le 22 février, avait lieu à Paris un débat « les semence sont au coeur de nos vies« . Or le pain aux améliorants de grande distrib trouve sa clientèle – F5: « la Tradi est devenue la 1ère baguette française. 230 000 baguettes tradi en une journée chez LPB sans AUCUNE INTERVENTION HUMAINE », se gausse LPB, la Parisienne de baguette….
A St Gervais sur Mare, au dessus de Béziers, j’ai rencontré Denis Degand, artisan de 50 ans, marathonien dans la vie comme dans le pain. Il était midi et il travaillait, seul, depuis 18h non stop. Dans le village, une seule autre boulangerie, conventionnelle. Cet artisan m’a raconté comment dans son propre village « ça bloque encore au niveau du bio », très peu de clients locaux, la plupart préfèrent le pain blanc d’à côté. « La boulangerie de village, c’est du service public, du pain blanc, pas trop cher, pas trop croûté, à la levure. Moi, je n’ai pas d’horaires conventionnels et dès qu’on passe les 5,5€/kg, les gens ont l »impression qu’on les assassine alors qu’ils achètent de la viande à 20. » A Marseille, la Maison St Honoré et Dame farine s’évertuent à travailler des farines saines de moulins qu’ils connaissent. Tous les jours , on continue à leur demander des baguettes bien blanches qu’ils se refusent à produire. Maxime Bussy, le boulanger du Bricheton à Paris « s’amuse » à faire 1h de vélo avant chaque fournée pour aller chercher une bonne eau à l’autre bout de Paris.… Et des comme ça, il y a plein, partout, dans toute la France, en ville, en campagne, de quoi faire des tomes 2,3 ou 4 de Tronches de pain!
Bon bref, tout ça pour dire qu’on s’est pas faits chier pour rien. Lisez Tronches de pain, achetez du vrai pain et venez samedi prochain à l’Epicerie Idéale à l’heure du goûter. Vous mettrez les mains dans le pétrin et les Tronches marseillaises vous raconteront, saut de levain à l’appui, pourquoi il faut manger leurs pains.
Tronches de Pain. Marie Rocher, Guillaume Nicolas-Brion, Cécile Cau. Ed Epure, Marie Rocher/. 20€.
Notre pain est-il dans le pétrin? F5. rediff 26/02 à 17h35 puis 9/03 à 16h35