Alexandre Gauthier : la 2è étoile jouissive
Chaque année, je me dis que je m’abstiendrais de commentaire Michelin mais chaque année, une étoile me fait réagir. Et celle de 2017 est émouvante : La Grenouillère* reçoit enfin sa 2è étoile. L’oublié du guide à qui l’on rappelait chaque année cette faute professionnelle indiscutable. La vieillitude du Michelin n’est plus une information mais un fait. On s’en fout, cette fois c’est la bonne. Car s’il est un chef qui n’a pas démérité, c’est bien Alexandre Gauthier. Je le suis pas à pas depuis plus de dix ans. En une décennie, il a ouvert trois restaus et misé quelques millions sur sa principale affaire à gros risque. Quand il servait déjà des homards modernistes cuits au foin dans l’auberge désespérément désuète de son papa. Sa cuisine d’ultra contemporain s’accommodait de ce lieu familial qui l’avait aussi fondé. Petit à petit, pape est parti, fiston est resté, se réappropriant les lieux sans les renier. L’architecte Patrick Bouchain, qui avait déjà poussé Troisgros vers le contemporain à Iguerande, a fait le reste. Alexandre Gauthier s’est fait un lieu pour lui, de fer, de vert et de lumière. Un petit salon témoin a gardé l’esprit originel des vieilles grenouilles comme pour ne rien rayer du passé. La cuisine s’épanouit depuis lors en totale adéquation avec ce lieu d’expression. La chair et la pierre se complètent. La Grenouillère est de ces rares restaurants qui réussissent l’harmonie du contenant au contenu. Tout est ouvert, lisible. Les assiettes sorties d’un cerveau créatif glissent dans un environnement qui les porte. A table, on discute, le service est prévenant, élégant, jeune, décontracté, renseigné.
Réfléchissant à ce que peut être l’hôtellerie moderne, Alexandre Gauthier a poussé sa démarche globale et épicurienne jusqu’à la chambre. Les cases individuelles planquées dans la nature poussent jusqu’au moindre détail l’érotisme culinaire. Continuité évidente de la démarche de l’aubergiste, elles invitent à digérer l’endroit jusque sous les draps.
Si cette étoile est touchante, c’est qu’elle reconnait aussi le mérite acharné d’un travailleur de casseroles. Perdu dans une province province!, Gauthier a renoncé a bien des escapades extérieures lucratives, affronté la crise avec une lucidité touchante, s’est accroché tous ces mois de février sans étoile, a besogné la grenouille chaque jour. Persévérant dans son style si particulier qui ne s’évente pas mais continue de se réinventer sans cesse. La Grenouillère est la maison témoin de cette génération émergée il y a dix ans, intelligente, brillante, ouverte, inventive, indispensable. Celle qui m’a reconstruit le palais et dont je suis indéfectiblement amoureuse.
* et je m’aperçois que je n’ai jamais chroniqué la Grenouillère. C’est que les mots manquant parfois pour décrire des lieux qu’il faut ressentir.