Porc et pique
Fourche et fourchette est un livre qui enfourche la belle campagne française à coups de portraits et de recettes « plus essentielles que jamais », dit son auteure la journaliste Camille Labro. On y rencontre quelques uns des producteurs qui font de belles histoires de terroirs, connus – Michel et Bénédicte Bachès et leurs agrumes dans le sud ouest, Bernard Poujol et ses canards de rizières en Camargue – et moins connus – Temanuata jeune fromagère militante de la Confédération Paysanne – qui font que « le monde se porte mieux ». C’est un livre de belles histoires que l’on voudrait ne pas s’arrêter à 250 pages ou 30 portraits mais qui serait juste la normalité. Sauf que….
Téléscopage de la vie, j’écoutais l’excellente quotidienne de France Culture Les pieds sur terre alors que je feuilletais le livre. Ce jour là, c’était « les pieds dans la terre« , deux histoires de reconvertis vers la terre. Un type qui a quitté Marseille pour reprendre un élevage breton raconte : « on attend que l’autre crève pour récupérer ses terres. Vous les croisez, vous dites bonjour, ce sont des gens qui ne vous répondent pas ».
Depuis 10 ans que je suis journaliste culinaire, j’ai entendu un paquet d’ histoires vertueuses de Slow Food , de paysans qui penseraient au bien nourrir plus qu’au bien s’enrichir, de producteurs chastes mais aussi d’un monde agricole qui n’est pas si folichon. J’achève en ce moment un livre sur des portraits de boulangers (Tronches de Pain. ed Epure. Janvier 2017), des acharnés qui travaillent la nuit juste pour que l’on ait de bonnes tartines de bon pain au levain à notre petit déjeuner, des types qui se cassent la tête et la tirelire pour trouver de bons meuniers de sorte que l’on ait plaisir à saucer. « La farine conventionnelle c’est du poison« , a-t-on entendu… Et au cours de ces mois-ci, j’ai aussi entendu de belles controverses très éloignées de l’humanisme évoqué pour l’un dans Fourche et Fourchettes. Les Bachès, eux, ont failli fermer parce que les chefs ( à de très rares exceptions) à qui ils destinent leur production magique, mais d’élite, ne jouent pas le jeu du soutien.
J’ai écouté un paysan boulanger raconter les difficultés qu’il a à trouver des terrains pour faire pousser son blé bio. Ses collègues paysans du 05 ne veulent pas lui céder au prétexte qu’ »il a trop de diplômes, qu’il s’en sortira toujours, qu’il aille donc voir ailleurs ».
J’ai laissé parler des militants sans OGM cultivateurs de blés anciens, leur souci à sauver leur peau avant la nôtre, plutôt rester dans l’ombre avec des semences interdites que d’étendre cette belle culture, faire monter les cours et se faire déposséder par des filières à plus grandes échelles.
J’ai multiplié les témoignages sur le bio pas si net que cela – savez-vous , par exemple, qu’il suffit à un blé (le même donc que ces blés modernes, trafiqués qui font les baguettes de Marie Blachère), de pousser une année en bio pour être labellisé?
J’ai en mémoire ce reportage chez un éleveur porcin des Côtes D’Armor tentant tant bien que mal de sauver son activité sur ce territoire pourri à des mètres sous terre par son père.
Je me souviens de ma Bourgogne d’enfance entachée de belles maisons Bouygues, summum de la modernité pour des agriculteurs qui avaient grandi dans de cossues bâtisses en pierre naturelle surmontées de tuiles vernissées. J’allais chaque semaine chercher chez une fermière de merveilleux fromages de chèvre dont je garde encore le crémeux en bouche. J’y suis retournée il y a un an. Elle était seule dans sa grande ferme. Son mari était mort dans sa 1ère année de retraite : cancer, « sûrement les produits qu’on utilisait« , a-t-elle simplement dit.
Alors la belle image teintée de soupe Vichyssoise et de carottes à fanes du Larzac, dotée d’un discours passéiste sur les choses anciennes, le goût d’hier, le pain de mon grand-père, le Pont l’Evêque de ma grand-mère (qui était normande!), qui ne défend qu’une culture locale sans se préoccuper des nécessaires et stratégiques réponses globales, me laisse un peu nuancée. Soudain, le souvenir amer de la Jeune Rue me revient.
Merci Camille de nous portraitiser ces belles personnes. Le livre, illustré de chouettes photos signées Juliette Ranck, effeuille cette jolie France positive et met en appétit pour midi. Mais n’oublions pas que le monde paysan est loin des bisounours. D’une part, il se doit de répondre aujourd’hui à des enjeux mondiaux, urbains, progressistes et de masse. Et la neo écologie n’y répond pas, pour l’instant. D’autre part, tout le monde n’a pas les moyens d’un poulet à 23€.
Fourche et Fourchette. Camille Labro. Oct 16. ed Tana. 29,95€