Second de cuisine
C’était lundi dernier. Le premier « lundi de Fulgurances ». le principe ? Laisser pour un soir, les rênes d’un restaurant à un second qui d’habitude exécute, soutient, s’efface. Initiative généreuse et aventureuse que de mettre en lumière les piliers de l’ombre.
Sam Miller envoie son « bol de radis » et l’on sait alors qu’il arrive de Noma à Copenhague. Son chef, René Redzepi a mis en place ce magistral radis au terreau de malt à manger de la feuille à la racine. Suivront des légumes, un surprenant maquereau cru au lait de noisette, une huître coupée en morceaux, etc. Le service est un peu long mais Sam a choisi d’envoyer 50 couverts d’un coup d’un seul… Belle gageure qui s’accommode entre deux, de sympathiques vins nature comme ces « Hauts de Madou » de Christian Venier. Le menu s’affine, le cuisinier s’affirme, une joue de bœuf bousculée par des pluches d’oignons croquantes à la rose et enfin, un dessert, parfait pioché dans un registre salé, panais versé dans le sucré, un « parfait de malt » venu de nulle part. Si, de Sam Miller ! Petit second deviendra grand. Et l’on salue ces lundis qui laissent toute la place à ceux qui ne connaissent que les coulisses. Pour avoir longuement étudié cette place en cuisine pour Omnivore, récoltant moult témoignages, je sais qu’elle n’est pas facile, mais parfois prometteuse. Les seconds d’aujourd’hui seront les chefs de demain. Une clé pour l’évolution de la cuisine. Dans ces histoires de couples, il faut savoir déceler quelles séparations seront bénéfiques.
Terrible et jolie place du second. Dans l’ombre de chefs, dans la lumière d’étoiles, des personnalités qui gravitent les échelons petit à petit. Des années avant d’arriver juste derrière le premier. Encore quelques unes avant de prendre sa place. Partir, trahir, investir. Oser se lancer seul et s’affranchir des personnalistes marquantes qui vous a parrainé, formé, chapeauté ?
- Tous, un jour, ont été « seconds de » : Pascal Barbot d’Alain Passard, Jean Marie Baudic de Pierre Gagnaire, Jacques Decoret de Regis Marcon, Stéphane Froidevaux de Marc Veyrat. Ceux à marqués à vie mais aujourd’hui franchement affranchis de ces pères spirituels. Mais « je résonne comme lui », me confiait Barbot à propos de celui toujours apellé chef.
- Certains restent seconds de toujours. Des années dans le sillage, le bras droit, l’indispensable mais toujours 2è : Michel Nave, par exemple, depuis toujours derrière Pierre Gagnaire. « La référence historique de la maison », dit le chef, « chacun apporte sa pierre à l’édifice ».
- « Les fils de » resteront eux toujours le garçon de leur papa : Eric, Sébastien, Jacques….anonymes en cuisine jusqu’à ce qu’on leur appose un nom de famille : Westerman, Bras, Marcon. « C’est un nom à porter mais il faut se faire un prénom…. », me racontait Jacques Marcon.
- D’autres n’ont jamais été 2è (Christophe Dufau), n’ont jamais accepté quelqu’un dans leur dos (Fulvio Pierangelini).
Rares sont les chefs qui jouent le jeu du relai, ouverts à l’expression de leurs équipes, laissant une part de création à leur auxiliaire. Trouver sa cuisine est une belle et difficile aventure. S’affranchir des modèles et se forger sa personnalité l’est tout autant.
C’est promis, je vous livrerai bientôt le face à face Barbot/Passard ou quand la complicité d’hommes fait de magnifiques cuisines.
Prochain lundi de Fulgurances : 17 mai. reservationslldf@gmail.com